vendredi 19 février 2016

DE CRIMES RITUELS ET DE COMMANDES SPÉCIALES



Samedi soir dernier, Bernard-Henri Lévy (BHL) a fait sursauter le plateau de On n’est pas couché, le célèbre talk-show de France 2.


Alors qu’il faisait la promotion de L'esprit du judaïsme, son dernier bouquin, l’impayable dandy philosophe a été interpellé par Léa Salamé. La chroniqueuse tiquait sérieusement sur un passage de son livre où il soutient que le scandale du sang contaminé qui avait éclaboussé Laurent Fabius en 1998 était un «crime rituel juif», un complot raciste antijuif. Visionner la vidéo de l'échange.

Léa Salamé confronte BHL à On n'est pas couché. Décoiffant!
 
N’en étant pas à une caleçonnade près, BHL a ajouté en ondes que l’antisémitisme avait aussi eu un rôle à jouer dans le scandale sexuel qui s’était abattu sur Dominique Strauss-Kahn. Bref, BHL voit de l’antisémitisme partout. Et il n’est pas le seul.


Dans ma dernière chronique Le chilling effect, je parlais de la propension du Centre des relations juives et israéliennes — CIJA (anciennement le congrès juif) à harceler les médias qui ont le malheur de toucher à la question du conflit israélo-palestinien. Mais l’organisme «non partisan» a un grand frère qui, à l’échelle mondiale, a la même fixation que lui. 


Un écusson du B'nai Brith

Venu au monde il y a 175 ans, le B’nai Brith (qui signifie Les fils de l'Alliance) s’est développé sur le modèle des loges maçonniques. Le gendarme du discours politique pro-israélien compterait près d’un million de membres, ce qui, vous en conviendrez, est impressionnant quand on sait que l’ensemble des communautés juives à travers la planète équivaut grosso modo à la population… basque.


Le B’nai Brith a dû glousser pas à peu près lorsque Max et Monique Nemni, les biographes de Pierre Elliott Trudeau, ont mis à jour, en 2006, l’antisémitisme du futur premier ministre canadien dans le tome qui traite de ses années de jeunesse. Et que dire lorsque The Sun, le quotidien de langue anglaise le plus vendu au monde a publié, en 2015, des images inédites de la famille royale s'exerçant allègrement à faire des saluts nazis? Non, non. Il ne s'agissait pas de quenelles inversées!



Pierre Trudeau et la reine Elizabeth II lors de la signature de la Constitution canadienne, le 17 avril 1982. Va-t-on débaptiser l’aéroport de Montréal et déchirer la constitution en raison de certains éléments de leur passé trouble? Après tout, l'antisémitisme est un crime au moins aussi grave que la pédophilie, non?

On comprend aisément que la période de crise de la première moitié du 20e siècle ait été un terrain que toutes sortes d’organisations souhaitaient débarrasser de ses épouvantables relents d’intolérance. Pour autant, faut-il aujourd’hui accepter les méthodes d’intimidation et de chantage dont abuse le B’nai Brith et ses consorts? Demandez donc à Roger Waters, le chanteur et bassiste vedette du groupe Pink Floyd, ce qu'il en pense.


Pas besoin, comme Roger Waters, de militer pour le boycott d'Israël sur la question des droits des Palestiniens pour être traité de nazi et d'antisémite.
 
Depuis une dizaine d’années, la loge canadienne du B’nai Brith a opéré un sérieux coup de barre à droite qui a profondément écoeuré des gens comme Stephen Scheinberg, un ex-dirigeant du B’nai Brith et Victor Goldbloom, le premier membre de la communauté juive à être nommé au Conseil des ministres du Québec. 


Victor Goldbloom, décédé il y a deux jours, a été fortement en désaccord avec le durcissement du B'nai Brith
 
La dernière mouture des Fils de l’alliance est à ce point inféodée à l’extrême droite israélienne et à ses acolytes conservateurs qu’en août 2014, elle ne réclamait rien de moins qu'un prix Nobel de la paix pour Stephen Harper. Il fallait entendre Frank Dimant, le chef de la direction de B'nai Brith Canada (jusqu’en septembre 2014) prétendre «[qu’] aucun autre leader dans le monde a su montrer… une telle compréhension claire des différences entre ceux qui cherchent à faire le mal, et leurs victimes». Dichotomie satanique, quand tu nous tiens! 

 
À la regarder tirer sur tout ce qui bouge, on aurait envie de suggérer à la menaçante organisation de laisser tomber sa liste noire et de la remplacer par une liste «patte blanche» qui recenserait plutôt les happy few qui ne sont pas antisémites. Convenez que ce serait pas mal moins de travail. C’est vrai, en revanche, que la nébuleuse serait alors forcée de remercier un grand nombre de ses pisteurs qui sont éternellement sur le qui-vive.


Depuis les toutes premières chroniques de mon blogue, je soutiens que l’accusation d’antisémitisme peut être efficace si elle est utilisée à bon escient. En revanche, lorsqu’elle est dégoupillée à tort et à travers, comme c’est trop souvent le cas, elle devient une bombe sale. Une arme de terroristes fanatiques. De têtes brûlées.

Rappelez-vous l’affaire Michaud. C’est le B’nai Brith qui avait allumé le bûcher en dénonçant Yves Michaud pour ses soi-disant «injures contre les juifs». Cela avait fini par lui valoir un blâme unanime de l'Assemblée nationale. Pierre Foglia (qui ne pouvait pas sentir Michaud) avait tout de même décrié ce blâme en ajoutant «[qu’il] règne dans ce pays une espèce de terreur à la seule l'idée d'avoir à affronter les organisations juives comme le B'nai Brith ou le Congrès juif. Terreur qui… alimente dangereusement les sentiments et les attitudes antisémites au lieu de les combattre.» Même Salomon Cohen, juif israélien qui a fait la Guerre des Six Jours et ex-candidat du PQ dans la circonscription d'Outremont, avait accusé le B’nai Brith d’être une des bougies d'allumage de l'antisémitisme au Québec.

C’est encore le B’nai Brith qui, en 2007, avait réclamé la tête de Jocelyn Coulon, candidat libéral dans Outremont, pour ses «préjugés anti-Israël». Le spécialiste en politique internationale qui était pourtant irréprochable avait très très mal digéré la malhonnête infamie. 


Jocelyn Coulon et Hans Marotte, deux des nombreuses cibles du B'nai Brith

C’est toujours le B’nai Brith qui voulait qu’Hans Marotte, le candidat NPD de la campagne fédérale de 2015, se mette à genoux et passe à la confesse devant Michael Mostyn, le nouveau bonze de B'nai Brith Canada pour des propos qu’il avait tenus un quart de siècle plus tôt sur la première Intifada.

 

Le B’nai Brith accepte aussi volontiers les commandes spéciales. J’en sais quelque chose.

En janvier 2013, au troisième jour du 2e procès qu’avait intenté contre moi Michael Rosenberg, j'étais
appelé à la barre des témoins. J'en avais profité pour expliquer à la juge de la Cour supérieure que le B’nai Brith était un instrument tellement sensible qu’en comparaison, un sismographe faisait figure de zinzin de l’époque des mammouths laineux et des Pierrafeu. J'ai alors fait remarquer à l’honorable Claude Dallaire qu’en cinq ans et demi, aucune de mes 300 chroniques ne m’avait valu les foudres du B’nai Brith.

Dieu sait, pourtant, que cette poursuite avait fait les manchettes des quotidiens canadiens et des téléjournaux québécois à de multiples reprises. Ça en avait bouché tout un coin à l’illustrissime Julius Grey et aux trois ploutocrates qui m’accusaient, entre autres, d’antisémitisme.

Le bon Julius en conciliabule avec Alex Werzberger (de dos), Martin et Michael Rosenberg dans un couloir du palais de justice de Montréal, le 13 janvier 2013.

Plus de 62 mois après le début du battage médiatique du litige qui m'opposait aux Rosenberg et à Werzberger, quelqu’un de l’entourage de mes accusateurs a manifestement passé une commande spéciale au B’nai Brith. Il fallait absolument que le cartel, engagé dans la sécurité de l'État d'Israël et la lutte contre l'antisémitisme, me réserve une place dans sa documentation officielle avant que ne tombe mon jugement.

En avril 2013, huit mois avant que la juge de la Cour supérieure ne rende son jugement, le rapport 2012  des incidents d'antisémitisme sortait tout chaud de l'imprimerie. C'est un Thomas Mulcair fier comme un paon qui avait eu l'honneur de dévoiler le rapport.

Lors du dévoilement du rapport 2012, Thomas Mulcair était flanqué de ceux qui deviendront respectivement l'ancien et le nouveau chef de la direction de B'nai Brith Canada, Frank Dimant (à l'extrême gauche) et Michael Mostyn (à l'extrême droite).

À la page 20, on m'y faisait dire que «les juifs hassidiques sont des fanatiques religieux qui font leurs propres lois en usant d’intimidation». Avoir su que l'on m'attribuerait une citation approximative, je leur aurais demandé d'y insérer le B'nai Brith parmi les intimidateurs fanatiques! 

Pour servir ses fins, le B'nai Brith n'a eu aucun scrupule à falsifier et à travestir les faits. Ainsi, à la page 18 de son canard, on y lit: «Des symboles du judaïsme hassidique sont utilisés pour prétendre que les juifs tourmentent les non-juifs». Or, il n'y a rien de plus faux. Cette caricature que m'avait inspiré La chute des Titans, de Cornelis Cornelisz van Haarlem, ne s'adressait absolument pas aux juifs, ni même aux hassidim en général. Elle représentait Michael Rosenberg, mon principal poursuivant qui venait de se faire déculotter pas à peu près par la juge Manon Ouimet de la Cour du Québec. Pour avoir la preuve de la malhonnêteté des propos du B'nai Brith, je vous invite fortement à lire La justice des dieux.
  
La page 18 du rapport 2012 du B'nai Brith: on y trouve la tête d'un Michael Rosenberg étendu
 

Le plus drôle dans toute cette histoire, c'est qu'à peine dix mois avant de se pavaner avec ce fameux rapport 2012, Thomas Mulcair avait été forcé, lui aussi, de se défendre contre les accusations du B’nai Brith soutenant qu'il existait un état d’esprit anti-Israël (lisez antisémite!) au sein de son caucus. On comprend, dès lors, que le chef du NPD avait quelque chose à se faire pardonner!

Comme tous les autres politiciens, Tom devra se tenir les fesses très très serrées et les oreilles molles s'il veut s'éviter à nouveau les foudres des suppôts d'Israël. Quoi? C'est antisémite de dire ça? Ben là, ça va faire! J'emmerde le B'nai Brith!